
Je me souviens jadis – alors tout jeune étudiant – d’avoir été séduit par cette fable : l’aura de mystère et de beauté de cette île imaginaire aux allures de paradis terrestre.
Quelque vingt-cinq années plus tard, me voilà replongé avec enthousiasme dans cette œuvre du célèbre politico-philosophe. Sa relecture m’a, hélas, déçue. Est-ce parce que l’homme que je suis désormais, un nationaliste-conservateur, n’est pas parvenu à apprécier à sa juste valeur cette utopie littéraire d’un penseur remarquable qui aura dessiné, sans trop le vouloir, les contours de ce qui allaient devenir au 20e siècle l’État-providence et le « gouvernemaman », c’est-à-dire la vision d’un État de plus en plus présent dans la sphère publique ? C’est possible. Mon cheminement personnel m’aura amené à être très critique de l’omnipotence d’un État qui a été, depuis, détourné par un gauchisme militant.
La nostalgie d’une jeunesse déjà lointaine corrompt sans doute aussi un peu parfois mon esprit. En somme, si pour Bacon l’État était, par définition, bon et sensible au sort de la population, le droitard en moi, dorénavant un observateur attentif des dérives actuelles de ce monstre bureaucratique, repousse donc cet optimisme voire ce jovialisme d’une autre époque. Par contre, il ne s’agit pas ici de juger un texte écrit au début du 17e siècle ni de le comparer à notre société moderne : le présent nous fait trop souvent regarder le passé à travers un prisme déformant. C’est probablement pourquoi la trop longue préface de Michèle Le Dœuff qui, page après page, étale sa suranalyse de « cette société par et pour la science », contribue à la lourdeur du livre en ennuyant d’entrée de jeu un lecteur agacé par autant de masturbation mentale. Malgré tout, le succès littéraire et la portée philosophique de La Nouvelle Atlantide en font une œuvre classique devant faire partie du processus intellectuel de chacun de nous.
Ainsi, Bacon a voulu, par ce roman publié à titre posthume, portraiturer la société idéale qui prendrait la forme, en quelque sorte, d’un éden intemporel, ancêtre d’une social-démocratie décomplexée aujourd’hui sur les stéroïdes – caractérisée entre autres par son inefficacité, sa froideur et son antipathie. L’idée derrière l’État baconien reposait sur l’atteinte d’un certain niveau de bonheur collectif. L’exercice du réel en 2024 montre toutefois que son fantasme se transforme en dystopie orwellienne.
[i] La Nouvelle Atlantide de Francis Bacon (GF Flammarion, 2e édition revue, 2000)
2 Responses
Intéressante critique. Je vais relire Bacon.
Merci pour le commentaire Simon.