Politique fiction : le fantasme d’un Québec indépendant et Daniel Johnson

Politique fiction : le fantasme d’un Québec indépendant et Daniel Johnson

Notre mémoire collective se dissipe dans un Occident aseptisé où triomphe un mondialisme décomplexé. Les Québécois d’aujourd’hui banalisent comme jamais sa propre histoire nationale – ils sont insensibles aux luttes épiques que leurs ancêtres-bâtisseurs ont menés, ancêtres qu’ils ne connaissent d’ailleurs pas du tout. C’est le règne « du confort et de l’indifférence ». Comment peut-on survivre en tant que peuple puis s’épanouir si les personnages les plus importants de notre histoire sont relégués aux oubliettes ?   

Il y a de la paresse, évidemment, liée à une société de consommation débilitante et au nivellement vers le bas d’un modèle québécois maternant, et les appels à la diversité et à l’ethnomasochisme propagés un peu partout dans les institutions, les médias, la classe politique et le réseau scolaire. Notre éducation écarte désormais toute forme de nationalisme. Nous sommes déracinés comme jamais et les Québécois de souche européenne ressentent tous d’une manière ou d’une autre, un sentiment désagréable de dépossession.

Il faut connaître et s’intéresser à notre histoire nationale pour en comprendre les nuances, pour définir notre ligne du temps, pour en apprécier les secrets, pour pouvoir rendre hommage à ceux qui ont su se sacrifier et souffrir dans l’espoir de préserver ce petit village gaulois au nord de l’Amérique. L’histoire est plus que quelques artéfacts ici et là dans des musées poussiéreux, plus que des dates, plus que des pages jaunies d’ouvrages classiques : elle est le socle d’un peuple et pour le nôtre, c’est son coeur et son âme, ce pourquoi il existe et qu’il crie encore haut et fort sa présence dans une mer anglo-saxonne et multiculturelle. Par contre depuis quelques années déjà, la gauche mondialiste dite régressive ou woke tente de la réécrire de façon à imposer son idéologie. Elle s’est infiltrée progressivement de sorte qu’elle atteint maintenant un niveau de domination qui annonce un régime autoritaire de type orwellien. A ses yeux, il y a « sa » vérité, sa logique, sa vision, sa pensée unique qui devient de plus en plus liberticide et totalitaire. Elle veut la fin des États-nations et cherche à implanter une sorte de gouvernement mondial socialiste voire communiste. En tout cas, c’est l’impression qu’elle donne.

Il devient donc difficile de simplement débuter une conversation avec elle. Pourtant l’histoire est une science inexacte qui peut amener à de belles discussions et à des réflexions intelligentes – avec ses hypothèses, ses suppositions, ses analyses, sa politique fiction. La Nouvelle-France aurait-elle eu une chance de renverser la vapeur lors de la guerre de Sept ans si la métropole française avait pu acheminer plus de renforts d’outre-mer ? L’Amérique montrerait-elle aujourd’hui un visage totalement différent si la Nouvelle-France avait été catholique et huguenote ? La révolution des treize colonies britanniques aurait-elle été retardée si la Nouvelle-France n’avait pas été avalée par le conquérant britannique ? Un Louis XV moins versé dans la mélancolie et plus visionnaire aurait-il changé le monde que nous connaissons s’il avait choisi lors du Traité de Paris de 1763 de recouvrer certaines de ses possessions de l’Île Royale, du Canada, du bassin des Grands Lacs et de la rive à l’est du Mississippi plutôt que ses îles à sucre et à café ? Une France bonapartiste un peu moins ambitieuse et guerrière et donc, moins endettée, cèderait-elle vraiment au début du 19e siècle la Louisiane aux États-Unis avec l’idée de renflouer ses coffres ? Une Louisiane française apporte-t-elle un renouveau français en Amérique ? frustre-t-elle les États-Unis dans leur volonté d’étendre leur territoire vers l’ouest ? un conflit franco-états-unien aurait-il été possible en cas de litige concernant la Louisiane ? Est-ce qu’un autre Premier ministre que Robert Bourassa aurait voulu déclarer l’indépendance du Québec lors de l’effervescence patriotique qui a suivi l’échec des négociations constitutionnelles de Meech et de Charlottetown ? Bref, ce petit jeu inoffensif, amusant pour certains, crève-coeur pour d’autres, permet de mettre de l’avant nos personnages historiques, notre longue épopée en Amérique et notre fierté d’être qui nous sommes tout en réfléchissant à ce que nous voulons devenir, dans une manoeuvre de métapolitique nouveau genre et de patriotisme 2.0. Nous vivons à une époque qui repose sur le vide absolu, sur la superficialité, sur la déconstruction de notre identité et de nos valeurs. Il faut se relever et raconter notre histoire.

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Daniel Johnson (le 20e Premier ministre du Québec) est un homme politique méconnu qui a néanmoins inscrit son nom dans l’histoire du Québec. Son bref mandat a frappé l’imaginaire puisque c’est lui qui était au côté de Charles de Gaulle lors de son célèbre « Vive le Québec libre » de 1967. Il a su tisser des liens fraternels avec la France et redonner au Québec l’espoir d’un renouveau constitutionnel qui allait enfin mettre un terme à des décennies de frustrations, d’impuissance et d’inégalité. Sa mort soudaine a provoqué une cassure et la perte d’un élan patriotique qui ne reprendra de la vigueur qu’avec l’élection du PQ de 1976…patriotisme qui sera bien relatif si on considère les conséquences dramatiques de la défaite référendaire de 1980 – le PQ a tout de même pu rallier les forces souverainistes, rallumer la flamme identitaire et faire voter la loi 101. 

Le trop court passage de Johnson à la tête du Québec aura fait de lui un personnage oublié et négligé – il faut dire que René Lévesque et Robert Bourassa auront pris beaucoup de places dans l’échiquier politique et dans l’esprit des gens. Son gouvernement unioniste a poursuivi les efforts « interventionnistes » amorcés sous Lesage – des mesures sociales de gauche. Il a, lui aussi, participé à l’émancipation économique et culturelle du Québec tout en s’assurant d’exercer un nationalisme assumé et sans complexe. Son dynamisme politique s’est traduit non pas par un référendisme chronique à la sauce péquiste mais par un autonomisme duplessiste doublé d’une menace indépendantiste comme carte cachée ou ultimatum face à un gouvernement fédéral sourd aux revendications politiques du Québec – cette stratégie aurait pu marquer un tournant décisif vis-à-vis les enjeux constitutionnels et politiques du Québec mais le destin en décida autrement avec la mort soudaine de Johnson en 1968. Johnson fût l’un des premiers politiciens québécois, avec François Aquin, René Lévesque et le Mouvement souveraineté-association, à frayer ouvertement avec l’idée d’un Québec indépendant et libre de ses choix. Il a ainsi crédibilisé et légitimé, si on veut, une option jusque là somme toute marginale et discutée qu’en vase clos dans les cercles nationalistes et clérico-nationalistes.

De minorité francophone en sol canadien, le principe de « société distincte » fait surface dans les années 60 et est pris au bond par les nationalistes comme Johnson. Son Égalité ou indépendance, qui résonne encore même de nos jours, montre un Québec différent culturellement et historiquement des autres provinces canadiennes et plaide de la nécessité pour la pérennité de notre peuple d’une reconnaissance constitutionnelle et politique indélébile et officielle (l’égalité) dans le cadre canadien sans quoi le Québec prendrait un autre chemin (l’indépendance). Il voulait en finir avec le mépris chronique de la majorité historique anglophone face à un Québec francophone qui refuse d’être assimilé et qui plus que jamais, doit se lever debout pour revendiquer son droit d’exister pleinement.

Premier ministre galvanisé par les fruits de la Révolution tranquille, par l’Expo 67 et par les liens qui nous unissait avec la France gaulliste, Johnson afficha une confiance inébranlable qui allait bien au-delà des simples discours électoralistes. Cette affirmation nationaliste et la relation franco-québécoise génèrent et effrayèrent un gouvernement fédéral stupéfait qui n’avait pas dit son dernier mot et qui serait le plus grand bénéficiaire du décès de Johnson. Sa mort a bouleversé notre histoire et c’est là que les spéculations peuvent débuter : qu’est-ce qui serait arrivé s’il n’était pas mort ?

Son œuvre inachevée aura fait bifurquer notre route un peu comme lors de la destitution d’Honoré Mercier en 1891. Johnson avait des projets qui dépassent la « petite politique partisane ». Il était lucide, pragmatique et conscient de qu’il devait faire pour réussir notre marche vers l’émancipation politique. Un Johnson bien vivant face à un Pierre Elliott Trudeau cruel et antipathique à notre cause et donc, à notre sort – lui qui était un Canadien français, comme quoi nos pires adversaires ne sont pas toujours ceux que nous croyons – aurait changé le visage politique que nous avons connu ensuite dans les années 1970 : il n’y aurait pas eu la victoire péquiste de 1976 et par conséquent pas de référendum ni de rapatriement de la constitution comme prix à payer pour notre défaite. 

Comment aurait agi un Trudeau alors une verte recrue devant un Johnson aguerri ? Aurait-il refusé toute concession au Québec et crée une crise politique majeure qui aurait eu à sa tête un Johnson décidé ? Le gouvernement Johnson voulait faire les choses correctement et dans l’ordre : il offrait la chance au gouvernement fédéral et aux autres gouvernements provinciaux de négocier d’égal à égal une nouvelle entente constitutionnelle pouvant satisfaire tout le monde. A sa mort, Johnson fût remplacé par un Jean-Jacques Bertrand déphasé et impopulaire battu à plate couture par le PLQ alors dirigé par un Robert Bourassa indécis et allergique au vrai nationalisme canadien-français. Pendant ce temps le PQ faisait des gains timides et Trudeau qui avait la mainmise sur le pouvoir à Ottawa préparait mille et un plans pour combattre le Québec et qui déboucheraient sur la Loi constitutionnelle de 1982 et l’enchâssement du multiculturalisme dans la Charte des droits et libertés. Le rêve d’un État indépendant ou du moins qui n’était plus sous la tutelle d’un gouvernement étranger était à notre portée en 1968, bien plus qu’en 1976, 1980 ou 1995. Les aléas de l’histoire en ont décidés autrement.

Que faire si ce n’est que de la politique fiction ? La CAQ, nouvellement élue, a un boulevard d’opportunités devant elle, autre que le référendisme péquiste : et pourquoi pas préparer une constitution québécoise qui reprendrait nos aspirations, nos valeurs, notre culture, notre langue, nos origines, et qui viendrait contrer la centralisation du gouvernement fédéral ou bloquer certains jugements de la Cour suprême qui vont à l’encontre des intérêts de notre peuple ?

Salut à Daniel Johnson qui nous regarde peut-être d’en haut!

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