Je termine la lecture de deux excellents ouvrages sur l’histoire des Expos de Montréal : « Il était une fois les Expos, Tome 1 et Tome 2 » de Jacques Doucet et Marc Robitaille. Ces véritables bibles du baseball montréalais résument la courte mais glorieuse épopée de Nos amours, soit leurs débuts enthousiasmes de 1969 jusqu’au sinistre déménagement de l’équipe à Washington en 2004. La lecture de ces bouquins nous amène non seulement dans les coulisses de l’équipe mais aussi dans celles du baseball majeur. On est donc loin du simple recueil de statistiques et de photos. Nous plongeons ainsi dans le quotidien des Expos, avec ses hauts et ses bas, tout en mettant en parallèle certains évènements qui allaient influencer directement ou indirectement l’avenir du club : pensons à l’obtention par la ville de Montréal des Jeux Olympiques de 1976, aux différents conflits de travail du baseball majeur, à l’élection du premier gouvernement péquiste, à l’arrivée des Blue Jays de Toronto, à la flambée des salaires, à la chute du dollar canadien, etc.
L’histoire de cette équipe n’est pas banale. Elle fut tout sauf tranquille : tant sur le terrain qu’à l’extérieur. Les principaux acteurs de son histoire prennent une place importante dans ce récit : de Gerry Snyder à Claude Brochu, en passant par Jacques Ménard, Charles Bronfman, Claude Delorme, Buck Rodgers et Felipe Alou. Le soucis du détail rend la lecture facile et agréable. Le lecteur traverse une montagne russe d’émotions, digne d’une narration romancière ou cinématographique. On ne se contente pas de faits déjà connus, on pénètre dans l’intimité du club. Pour tout amateur de sport et même d’histoire, il s’agit là d’un beau cadeau.
La fin annoncée et prévisible des Expos n’avait pas une seule cause. Les auteurs en énumèrent quelques unes mais ils laissent le lecteur à ses propres conclusions. Il n’y a pas de réponse claire et c’est sans doute l’accumulation d’un ensemble de facteurs qui auront sonner le glas des Expos à Montréal. On peut pointer du doigt par exemples les lacunes du Stade olympique, la vente de l’équipe par Bronfman en 1991, le consortium bigarré qui allait mener inévitablement à des luttes intestines, la défaite en série de championnat de 1981, le manque de soutien des gouvernements, la petitesse et la pauvreté relative du marché québécois, à la désillusion de 1994, à une mauvaise gestion, aux piètres performances de l’équipe, aux promesses non tenues, à la liquidation des meilleurs joueurs, à la hausse des salaires, etc.
J’ai eu de nombreux pincements au cœur à travers les centaines de pages : les courses aux championnats perdues, les échanges catastrophiques, les foules anémiques, l’indifférence des politiciens, les insuccès sur le terrain. L’équipe ne semblait jamais être au bon endroit en bon moment. A la page 348 du tome 1, nous pouvons lire que
« (…) si le réalignement [des divisions avec en prime l’ajout du « meilleur deuxième »] avait été adopté pour la saison 1979, les Expos de Montréal auraient atteint les séries d’après-saison pas moins de six fois de 1979 à 1993 (1979, 1980, 1981, 1987 et 1993). Imaginons seulement ce que la participation du club à des matchs à forts enjeux aurait fait pour stimuler l’engouement des amateurs québécois de sport pour les Expos et le baseball ».
L’épilogue en rajoute.
« Les Expos se sont joints aux majeures à l’époque où l’Association des joueurs a commencé à faire des gains significatifs. Peu après, les joueurs d’impact sont devenus hors de prix et l’équipe ne pouvait plus convaincre les stars établies d’évoluer à Montréal. Les Expos ont souvent été meilleurs deuxièmes à une époque où être meilleur deuxième n’ouvrait pas la porte aux séries de fin de saison. Les Expos ont eu la meilleure équipe de leur histoire dans une saison qui a été interrompue pour de bon au mois d’août, la première et dernière fois (pour l’instant, du moins) que cela se produirait dans toute l’histoire du baseball majeur. Au moment où ils ont eu le plus de besoin de l’appui d’un leader politique, les Expos sont tombés sur Lucien Bouchard, qui, comme on le sait, adore les orchestres symphoniques mais méprise souverainement les « jeux du peuple ». Jeux du peuple, qui, comme il l’a si bien expliqué dans une entrevue lors de l’inauguration de la Maison symphonique de Montréal, ne sont qu’une extension des jeux barbares du temps des Romains. Dans les années où la situation financière de l’équipe était la plus précaire, le dollar canadien valait 60 cents en regard du dollars US. Quelques années après leur départ de Montréal, le huard grimpait à parité avec le dollar US. Quand les Expos ont finalement trouvé un acheteur possédant des ressources financières, il ne s’est malheureusement pas révélé être Robert Wetenhall ou George Gillett. Quand ils auraient eu besoin d’un commissaire comme Bart Giamatti, ils ont eu Bud Selig ».
Le baseball est un sport lent, stratégique, sans cadran, tout le contraire du hockey, qui est un sport rapide. Je me souviens de ces moments à écouter les Expos à la radio, avec la voix familière de Jacques Doucet. La saison des Expos faisait partie de mon quotidien. Être partisan d’une équipe de baseball conduisait à une sorte de routine. Le printemps rimait avec le camp d’entraînement, c’était le moment d’une nouvelle page blanche où l’optimisme de l’amateur était sans limite.
Le petit garçon que j’étais n’en pouvait plus d’attendre que la neige fonde et que le froid disparaisse pour que je puisse enfin sortir mon gant de baseball et frapper quelques balles au terrain le plus proche. Je repense avec émotion à ces après-midis où j’allais rejoindre mon grand-père dans sa pièce préférée pour écouter ensemble en-direct à la télévision le match des Expos. Une victoire et le sourire ne me quittait plus et ce, peu importe si l’équipe était en bonne posture ou non au classement. Une victoire est une victoire. Je me revois au Stade en train de regarder mes joueurs favoris près de l’enclos des releveurs. Un jour, Vladimir est même venu signer ma balle…que je garde encore précieusement.
Je suis né en 1980 donc je n’ai pas vécu l’effervescence du Parc Jarry, ni l’émergence des Carter, Dawson et Raine. J’ai plutôt grandi avec les Buck Rodgers, Andres Galarraga, Tim Wallach et la partie parfaite de Dennis Martinez. Mais rapidement, j’ai compris que le baseball était dorénavant une affaire de gros sous, un sport de millionnaires sans loyauté. Le sport professionnel se transformait.
Depuis que le club a quitté Montréal, mes étés ne sont plus les mêmes. Quand le Canadien de Montréal connaissait une mauvaise saison, je pouvais ensuite me rabattre sur les Expos. Mais depuis 2004, le Québec ne vit maintenant que pour le Canadien. Il a instauré un monopole sportif. Les Expos me manquent. Si on m’avait demandé de choisir entre une 25e Coupe Stanley au Canadien et une participation des Expos aux séries éliminatoires, je n’aurais pas hésité une seule seconde : les Expos en séries. L’effet rareté, peut-être, mais c’était d’abord le preuve de mon attachement à l’équipe qui malgré ses déboires, gardait une place centrale dans mon univers affectif.
Le déménagement du club m’a profondément attristé, tellement que je n’ai plus écouté un seul match de baseball pendant de longues années. J’avais mal. Certains diront que je n’aimais pas le baseball mais une équipe. C’est faux. Malgré leurs déboires chroniques et les pitreries ridicules des dirigeants du club (ce qui comprend ceux de Loria et de Samson), j’ai toujours suivi religieusement les activités du baseball majeur. Je vivais probablement en 2004 les mêmes sentiments que les partisans des Nordiques suite à leur départ pour Denver : de la frustration, de l’incompréhension, de l’indignation. Pourquoi encourager une ligue qui ne voulait plus de Montréal et qui était incapable de contrôler ses salaires ? Sans mon équipe favorite, je n’avais plus cette émotion, ce trémolo, cette passion dévorante, cette pulsion de vie électrisante qui habite tout partisan d’une équipe de sport.
Si le baseball majeur revenait dans la métropole québécoise, est-ce que je serais à nouveau un partisan passionné ? Peut-être. Peut-être pas. Avec les Expos, il y avait des souvenirs impérissables que je ne retrouverai pas. Et un lien s’est brisé, c’est évident. Puis soyons franc, le sport professionnel est malade et devient de plus en plus conformiste et aseptisé. C’est insupportable!
Je lisais récemment un article à propos des partisans des Jets de Winnipeg. Il disait ne plus ressentir les mêmes émotions et le même attachement à leur équipe qu’avant [celle de la première mouture]. « Le hockey est rendu ennuyant. Les premières années consistaient à un renouveau, un engouement normal, mais depuis, je n’ai pas la même fierté. On est loin de mon attachement des années 80 », disait un partisan. Le même raisonnement s’applique aussi au baseball et par la bande, aux futurs Nordiques de Québec.
Le retour d’une équipe de baseball majeur à Montréal est-il une utopie, est-il réalisable ? Tout est encore une fois une question de gros sous. Si nous pensons que le prix d’une concession de la LNH est élevé (+/- 500 millions US pour une expansion[1]), imaginez celui du baseball majeur. Seul un milliardaire pourrait mener à terme un tel projet. Si avoir une équipe de hockey professionnel peut être viable au Canada, c’est moins évident pour le baseball. Et le bassin de milliardaires québécois est ridiculement bas : en 2015, le Québec n’en comptait que 9 [2].
Au-delà de la belle histoire du baseball professionnel à Montréal – des Royaux en passant par les Expos – qu’est-ce la métropole québécoise a à offrir aux dirigeants du baseball majeur ? Montréal n’a aucun stade digne de ce nom existe, ni de propriétaires assurés. On peut applaudir les efforts du maire Coderre. Mais il est trop tard. Ces efforts auraient été nécessaires au tournant des années 1990 et 2000 alors que les Expos agonisaient sur la place publique. Un appui massif de Pierre Bourque, de Gérald Tremblay et du gouvernement québécois auraient pu sauver l’équipe. Où était la volonté politique ? Si les maires successifs de Montréal avaient fait preuve de dynamisme et de leadership, un résultat similaire aux Giants de San Francisco de 1976 aurait pu être possible. En effet, George Moscone travailla dès sa première année comme maire de la ville à garder les Giants à San Francisco. Il gagna son pari haut la main.
Lorsque le consortium mené par Claude Brochu a pris le tête du club, son avenir devenait dès lors incertain. Il est derrière nous le temps où un propriétaire aux poches profondes pouvaient accumuler les déficits et n’avoir qu’un seul but : la victoire. Le nouveau groupe allait couper dans les dépenses, liquider ses meilleurs joueurs, sacrifier le bien-être des partisans. L’objectif devenait, on pouvait le comprendre, financier. Ce n’était pas l’amour du baseball qui allait guider l’équipe mais ses états financiers.
Au-delà des retombées économiques, une équipe de sport professionnel apporte une visibilité sans précédent à une ville. Sans les Packers, Green Bay serait une petite bourgade inconnue. En renonçant aux Expos, Montréal a ainsi perdu une carte de visite internationale. Le nom « Montréal » ne résonne donc plus aux quatre coins de l’Amérique. Oui, il y a le Canadien, mais la LNH n’a pas le même prestige aux États-Unis que peut l’avoir le baseball majeur. Et c’est sans compter ce qu’une équipe de sport professionnel peut amener à une ville : revitalisation d’un quartier, sentiment d’appartenance, des rues animées.
Le Québec doit offrir aux futurs investisseurs un environnement économique sain et libre. Les contraintes règlementaires et légales doivent être limitées, le fardeau fiscal être au minimum. L’État ne doit pas intervenir dans les affaires et être un boulet à un éventuel retour des Expos. Il doit servir de catalyseur, de courroie de transmission, de démarcheur, de soutien public. Mais il ne doit pas dépenser un sou ni même subventionner avec des fonds publics un potentiel retour des Expos. Ce n’est pas au gouvernement mais au secteur privé d’investir ; et pas parce qu’on doit « dépenser cet argent dans le système de santé ou dans les écoles ». Les problèmes de nos institutions publiques ne sont pas financiers mais politiques, idéologiques et bureaucratiques. Le rôle de l’État n’est certainement pas de subventionner le sport professionnel.
Amoureux de baseball, je vous invite donc à lire voire à dévorer ces deux ouvrages d’une qualité journalistique exceptionnelle.
[1] Ce chiffre provient d’un article publié le 24 avril 2015 sur lapresse.ca.
[2] Selon un article publié le 28 juillet 2015 sur lapresse.ca

