Dans Attendez que je me rappelle, René Lévesque raconte la chute vertigineuse d’un gouvernement Bourassa (1970-1976) qui avait pourtant récolté 102 sièges sur 110 aux élections générales de 1973. Une deuxième victoire largement majoritaire qui n’est pas sans rappeler celle d’un gouvernement caquiste (2022) destiné à prendre le même chemin.
« Ce n’était pas que l’usure du pouvoir de six ans mais bel et bien un pourrissement qui s’était répandu dans trop de secteurs (…) Pendant les trois dernières années, une majorité hypertrophiée de 102 sièges sur 110 avait engendrée, en même temps que la frustration ressentie par la foule normale de députés aussi ministrables que d’autres mais qui attendent en vain, des appétits si nombreux et dévorants que l’administration ne ressemblait plus à rien tant qu’à une foire d’empoigne (…) »
François Legault, qui vient d’être réélu aisément, semble déjà au bout du rouleau et à court de solutions. Dans bien des dossiers, il tergiverse, hésite, boude un peu et puis…plus rien. Sous son ton bagarreur se cache un immobilisme chronique à la sauce Bourassa. Plusieurs le comparent à Maurice Duplessis – la CAQ n’est-elle pas un parti soi-disant nationaliste, une espèce de réincarnation du conservatisme bleu ? Son caractère pusillanime le pousse plutôt à imiter l’ancien premier ministre libéral.
Les crises constantes qui paralysent entre autres le réseau de la santé, l’éducation et les garderies subventionnées s’accumulent à un rythme effréné et ce peu importe le parti au pouvoir. L’exercice du réel freinera la sincérité de certains idéalistes et rêveurs. Alors, comment s’en sortir si les gouvernements qui se succèdent puisent inlassablement leurs inspirations dans le même livre de recettes périmées ? Car la CAQ est également restée fidèle à ce sacro-saint modèle québécois en déroute, elle qui jadis se disait animée d’un vent de renouveau qui prenait parfois la forme d’une conscience conservatrice voire réactionnaire. Un gouvernement caquiste usé à la corde donc, dopé par le pouvoir et qui n’a pas de vision politique claire et précise − sauf peut-être celle de nous maintenir dans une social-démocratie inefficace en répétant les erreurs du passé et en sabotant les remises en question d’un système public en pleine léthargie. Elle repousse en somme les droitards d’un coup de baguette magique bien-pensante.
Le 15 février dernier, le ministre Christian Dubé annonçait « qu’il se donnait trois ans pour abolir le recours aux agences privées (…) et pour bonifier les conditions de travail des professionnels de la santé du système public ». Voilà des vœux pieux entendus mille fois et une énième diabolisation du privé en santé qui, semble-t-il, serait trop lié au « capitalisme de droite ».
Legault agit comme un politicien désabusé qui se contente de gérer une simple province canadienne alors que les défis qui attendent le Québec dépassent largement ce cadre si stérile. Une fin de régime qui va durer, hélas, quatre ans.
Quelques heures auparavant, il « avouait son impuissance face à Ottawa dans les transferts en santé », confirmant que le rapport de force caquiste avec le fédéral est limité à de beaux sourires et à des phrases creuses. Le gouvernement Trudeau n’est visiblement pas impressionné par les 90 députés caquistes présents à l’Assemblée nationale du Québec.
Legault se frappe le nez sur le mur fédéral à chaque semaine. Ou presque. Le message est là, tout tracé, sans ombrage : les choses ne changeront pas si le premier ministre se résigne à son rôle de bougon inoffensif ou à cette image de fédéraliste fatigué et neutralisé qui renouvelle encore et encore sa confiance à un État canadien invivable. Quand il a demandé à Trudeau de « tweeter aux migrants qu’ils ne doivent plus venir [au Canada par Roxham] », n’est-ce pas le signe que le souverainiste pressé qu’il fût s’est désormais transformé en petit mendiant québécois ?
