Un patrimoine en lambeaux

Exemple d’un joyau patrimonial : le Moulin des Jésuites de Charlesbourg PHOTO : SYLVAIN GAUTHIER

Un patrimoine en lambeaux

Régulièrement dans l’actualité des articles nous annoncent la destruction prochaine d’un bâtiment patrimonial ou l’abandon total d’un édifice historique qui, entre temps, se cherchera une nouvelle vocation, un second souffle, dans l’attente d’un éventuel miracle qui lui permettrait d’être sauvé du pic fatal des démolisseurs. Trop souvent, les gouvernements, et notamment les élus locaux, montrent de l’indifférence ou ne savent pas comment réagir lorsqu’un trésor architectural menace de disparaître car oui, ces symboles d’antan sont des trésors – insoupçonnés − en eux-mêmes. Les taxes que rapporteront un complexe tout neuf suffisent parfois à convaincre les décideurs de passer outre la requalification et la sauvegarde d’un immeuble si grugé par le cycle des saisons. Sans relâche, des entrepreneurs aux dents longues s’agiteront aussi en coulisse, insisteront auprès des autorités pour que cette coquille vide, ce fardeau, ce danger public, répéteront-ils, croule sous les pépines, offrant ainsi au capitalisme sauvage une victoire et à la ville, une tour à condos en plus. Un paysage urbain mutilé et défiguré à coups de béton, de façades vitrées et d’anachronismes de style.

En janvier 2023, l’organisme Action Patrimoine faisait état, comme à chaque année, dans un autre plaidoyer ignoré politiquement, de plusieurs immeubles laissés-pour-compte, les uns sujets à la convoitise des promoteurs et d’autres à l’antipathie de certains citoyens désirant soustraire du décor cette plaie visuelle. Très peu de gens s’inquiètent et désespèrent devant ce phénomène d’autodestruction identitaire. Le patrimoine fait pourtant partie de notre devoir de mémoire vis-à-vis nos ancêtres. Qui pourrait donc incarner la version québécoise de Stéphane Bern, c’est-à-dire qu’elle personnalité aimée et respectée du public serait en mesure, par sa verve, son talent et son enthousiasme, de redonner le goût du patrimoine aux Québécois ?

Tant d’embûches guettent les propriétaires de maisons patrimoniales, ces gens passionnés qui n’en peuvent plus de la bureaucratie étouffante, des politiciens éteignoirs, du manque de ressources à leur disposition et de l’absence de patriotisme populaire. Un cri du cœur se fit récemment entendre à travers un article de Radio-Canada qui avait pour but, entre autres, de sensibiliser les compagnies d’assurance aux besoins criants du patrimoine bâti québécois.

« Au Québec, les propriétaires de maisons anciennes ont du mal à vendre leur propriété parce que, trop souvent, les assureurs refusent de couvrir les acheteurs potentiels. S’ils acceptent de les assurer, la prime d’assurance peut parfois être multipliée par trois. Une réelle menace pour le patrimoine immobilier (…)

L’organisme Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec reçoit chaque année une centaine d’appels de ses membres qui ont de la difficulté à assurer leur propriété. Selon son porte-parole Claude Michaud, les assureurs ne se donnent même pas la peine d’évaluer convenablement le risque que peut représenter une propriété, dans le but de proposer une prime qui est en relation avec le risque encouru (…) Selon lui, il existe une profonde méconnaissance des bâtiments anciens et la réalité quant à leur restauration (…)

La protection du patrimoine immobilier relève du ministère de la Culture. Puisque les pressions effectuées auprès des assureurs ne semblent pas fonctionner jusqu’ici, Gérard Beaudet suggère que l’État crée une assurance publique collective, un peu comme l’assurance récolte qui existe dans le secteur agricole (…) Dans une entrevue, le nouveau ministre nous dit que le patrimoine immobilier devient l’une de ses priorités. »

Aucun geste concret est à prévoir d’un gouvernement caquiste qui nous aura habitué à un verbiage sans fin, autrement dit à un blabla politique frôlant l’immobilisme chronique, ni des élus municipaux qui par leur manque de culture historique et de vision générale, s’enlisent dans des réflexes elvisgratonnesques assez regrettables. Les politiciens, un à un, repoussent ces propriétaires épuisés qui aux yeux de plusieurs, seraient trop idéalistes et pleurnichards. Mais derrière cette nonchalance politicienne se cache quand même des Québécois fiers qui s’efforcent de raviver une flamme patriotique éteinte en travaillant, en amont, à faire changer les mentalités. C’est ici qu’interviennent la métapolitique et l’action citoyenne.

Une bonne dose de leadership doit émerger pour que le Québec se dote enfin d’un plan ambitieux en patrimoine. Vouloir préserver à tout prix cette richesse collective n’est ni un luxe ni un caprice de nationalistes : c’est célébrer qui nous sommes, s’imprégner de nos racines, embrasser le passé, honorer nos bâtisseurs. C’est un héritage culturel exceptionnel, notre âme commune.

Ah qu’il est formidable et important le patrimoine de notre peuple, avec ses maisons d’une autre époque, ses rues généreuses en souvenirs, ses quartiers racontant notre histoire, son architecture ancienne où se conjugue art et beauté!

Hélas à chaque fois qu’un de ces témoins d’hier tombe au combat, c’est une partie de nous qui vole en éclats.  

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